Les allures

Cinématique équine

L'histoire se renouvelle

Depuis que l’humain s’intéresse de près aux équins, il cherche à comprendre comment le cheval se déplace, quelles sont les phases qui se succèdent pour permettre au cheval d’adopter plusieurs allures, plusieurs manières de se déplacer.

Les théories se sont multipliées, se contredisant régulièrement. Au XIXe siècle, écuyers et vétérinaires se chamaillent, la bagarre fait rage à coups de pamphlets et de controverses. Bouley (1) se fait « recadrer » par Charles Raabe (2), disciple de François Baucher (3).

Difficile de saisir le mouvement, d'autant que les représentations figuratives sont souvent bien éloignées de la réalité. Pourtant, dans son avant-propos, Raabe se présente comme étant celui qui espère que les mandarins de l’école impériale vétérinaire d’Alfort vont s’ouvrir à ses travaux.

Citons Raabe : « Si nous nous trouvons en contradiction avec les idées d’hommes qui se sont placés par leur travaux à la tête du monde scientifique, nous avons l’intime conviction qu’après avoir vérifié les théories nouvelles que nous émettons, ils n’hésiteront pas à reconnaître leur justesse. »

Reconnaître la justesse d’une autre thèse que la sienne est souvent compliqué. Pourtant le docteur vétérinaire Bouley, qui croyait en la « génération spontanée », a su se remettre en cause sur ce sujet en rejoignant Pasteur. En revanche, il n’a pas suivi les études de son collègue contemporain Bracy Clarck (4) qui démontrait les dégâts provoqués par le ferrage. Dommage.

Et les mandarins d’aujourd’hui ? Eh bien, nous allons le voir, ils restent fixés sur un savoir en cinématique qui date du XIXe siècle…

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Le trot, « allure à deux temps sautée » ?!?

Le monde équestre traditionnel est infesté, pollué par des contre-vérités héritées du monde équestre militaro-vétérinaire. La locomotion équine n’échappe pas aux dérives dogmatiques et aux croyances.

Qu’en 1873, Jules Lenoble du Teil (5), écuyer et admirateur de Raab, écrive dans son « Etude sur la Locomotion du Cheval – Librairie Militaire » que « le trot est une allure à deux temps sautée » est explicable, mais qu’aujourd’hui encore cette affirmation se retrouve dans tous les manuels ou encore dans les publications actuelles de l’IFCE (6) et de la FFE (7) devient problématique.

Pourtant, dans son préambule, Jules Lenoble nous avertit : « Les mouvements des membres étant extrêmement rapides, l’œil n’a pas assez de temps pour saisir à un moment donné leurs positions respectives. » Effectivement, l’œil et notre cerveau sont incapables de traiter précisément les différentes phases de l’appareil locomoteur du cheval. L’oreille non plus du reste. En écoutant un galop, on n’entend que trois temps de frappe au sol tant les frappes sont proches.

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La science n’aime pas les interprétations hâtives

Jules Lenoble aurait dû lui-même respecter son pertinent avertissement en ne concluant pas sans avoir pu examiner ce qui se déroule réellement durant les phases du mouvement. Mais comment lui en vouloir alors qu’il ne bénéficiait pas d’équipement adéquat pour observer ?

L’observation correcte d’un mouvement lié au déplacement du cheval ne peut se faire en-deçà de 100 images par seconde.

Notre œil ne fonctionne pas comme une caméra. Certes, il est capable de capter bien plus que 30 images par seconde, mais au-delà de ces 30 images par seconde, c’est notre cerveau qui, confronté à un nombre trop important d’images à traiter, va introduire un « flou de mouvement » et va ainsi abandonner les détails – c’est ce qui se passe quand vous agitez votre main devant vous. Or les détails, c’est bien ce qui nous intéresse pour observer chaque phase furtive du mouvement.

C’est donc grâce aux caméras rapides, qui nous offrent des images au ralenti – 100 images par seconde –, que nous sommes en mesure aujourd’hui de confirmer ce que les mathématiques nous enseignent sur la simultanéité physiquement impossible de deux mises en appui. Une fois de plus la « nature » est cohérente avec les lois physiques. Elle n’a pas le choix, elle ne peut s’en affranchir !

C’est ainsi que nous comprenons qu’un individu utilisant quatre membres pour se mouvoir ne peut physiquement pas avoir d’allures comportant moins de quatre mises en appui successives. A ces quatre temps s’ajoutent, pour le cheval au trot ou au galop, les temps de suspension d’appui, temps durant lequel il n’y a aucune mise en appui au sol.

En conséquence, nous pouvons affirmer que le trot comme le galop sont des allures à quatre temps successifs de mise en appui.

Alors que le guépard a une série de mises en appui dite « rotatoires » (antérieur gauche – antérieur droit – postérieur droit – postérieur gauche), le cheval a lui des mises en appui dite « transverses » communément nommées comme « diagonales » dans le monde équestre traditionnel.

Pour le trot, la mise en appui s’organise par exemple comme suit : postérieur gauche - antérieur droit - postérieur droit - antérieur gauche.

Admettre l'évidence ?

Ne doutons pas que cet article ne manquera pas de crisper tous ceux qui, du haut de leurs convictions héritées de l’époque militaro-vétérinaire, qu’ils soient mandarins ou simples quidams, affirment abusivement, en deux temps trois mouvements, sans avoir vérifié, que le trot est une « allure à deux temps sautée »… Invitons-les à l’ouverture d’esprit qui n’est pas, rassurons-les, une fracture du crâne.

Toutefois, soyons conscients qu’il est probable que cet article aussi, au fil de savoirs futurs, sera amendé, complété, enrichi. C’est le lot de toute publication soumise à l’évolution permanente de la connaissance scientifique. Toujours est-il que le trot n’est pas une « allure à deux temps sautée » mais bien une « allure » à quatre temps, une cinématique à quatre mises en appui successives plus les temps de suspension, tout comme le galop n’est pas une « allure à trois temps sautée » mais bien une allure à quatre mises en appui successives plus un temps de suspension.

Pierre ENOFF, novembre 2023

PS : Une élève vétérinaire, thésarde au Cirale (8), participante à une des formations que dispense Pierre ENOFF, a confirmé que grâce aux caméras rapides dont dispose ce centre d’imagerie, il a été constaté que les chevaux au trot ou au galop ont bien quatre mises en appui successives. Il ne pouvait en être autrement, cependant une question se pose, pourquoi cette donnée n’est pas diffusée ? Que signifie ce déni de réalité, cette rétention du savoir en rien conforme avec la déontologie qui s’impose à tout établissement public de recherche ? Secret défense ou simplement remise en cause impossible…

Henri-Marie BOULEY (1814-1885) : issu d’une famille de vétérinaires et maréchaux-ferrants, professeur de chirurgie et de ferrure. Président de l’Académie des sciences.

Charles Hubert RAABE (1811-1889) : officier de cavalerie. Auteur de « Locomotion du cheval Examen des allures selon M.H. Bouley... »

François BAUCHER (1796 1873) : écuyer, écrivain. Celui qui pense que le cheval « mâche moelleusement son mors » – Dressage méthodique du cheval de selle, page 36. La légèreté fer en bouche ?!?

Bracy CLARK (1771–1860) : vétérinaire anglais. Auteur de « Recherches sur la construction du sabot du cheval et suites d'expériences sur les effets de la ferrure », traduit en français.

Jean-Jules LENOBLE DU TEIL (1838-1898) : écuyer, disciple de Baucher et de Charles Raabe. Auteur de « Etude sur la Locomotion du Cheval ».

IFCE : Institut Français du Cheval et de l’Equitation. Etablissement public.

FFE : Fédération Française de l’Equitation

Cirale : Centre d’Imagerie et de Recherche sur les Affections Locomotrices Equines -

6 réflexions sur “Les allures”

  1. Vassalo Patricia

    Tout ceci est très bien dis , j adhère complément au fait qu’il est très difficile de changer l état d esprit de nombreuses personnes .
    Une seule chose me gène, pour moi il ne s’agit pas d’admettre que la nature est bien faite mais de reconnaître que le Créateur de toute chose a bien fait toute la création qu’elle soit animale ., végétale ou humaine et que seul les humains sont capables de tout détruire en se trouvant toujours des excuses , l orgueil les empêchent de reconnaître humblement leur petitesse .

  2. Tout ceci ne devrait pas porter à polémique. Evidemment qu’avec les techniques modernes du cinéma et des ralentis, on en sait maintenant un peu plus que les connaissances des anciens.
    Conserver les définitions de l’IFCE et de la FFE ce n’est tout de même pas le drame ! … à moins de vouloir absolument expliquer aux jeunes générations , le pas, le trot et le galop avec 10 pages d’explications.

    1. Merci pour votre réflexion. Il ne s’agit pas de polémique ou de drame mais bien du constat que la FFE et l’IFCE sont restés bloquès au XIX ème siècle. Il n’ y a pas besoin de plus de pages pour expliquer la réalité d’un mouvement que de transmettre des contre vérités comme le font régulièrement les institutionnels. Au contraire même, il y a besoin de plus de pages pour tenter d’expliquer l’inexplicable. Les jeunes générations ont un pouvoir de compréhension aussi élevé que vous qui avez compris en seulement une page de cet article. Espérons que vous n’êtes pas enseignant. Fort de votre réflexion vous seriez celui qui enseigne encore que la terre est plate. La connaissance évolue et se partage. Très cordialement.

  3. Je ne suis ni enseignant, ni membre de l’IFCE ou de la FFE
    Je me moque de savoir si mon cheval galope à 3 temps ou si à la vidéo et avec un fort ralenti , il est plutôt à 4 temps.
    Ce qui m’intéresse c’est de savoir si son équilibre est bon et s’améliore, si son dos est souple, si son envie d’aller de l’avant et son moral est au beau, si le contact que nous partageons avec sa bouche est bon.
    Le but de l’enseignant est sans doute de faire passer des messages compréhensibles même aux plus jeunes, avec ses modestes moyens, et de faire connaitre des sensations.
    Bien cordialement

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